Déclaration concernant le cytomégalovirus (CMV)
Lani Liebermann, MD
Jutta Preiksaitis, MD
Donna Wall, MD
Le cytomégalovirus (CMV) est un virus herpétique dont la séroprévalence se situe entre 40 et 80 % et varie selon l’âge, l’origine géographique et le statut socio-économique. 1,2,3 Le CMV se transmet par contact direct avec des tissus ou des sécrétions (sang, salive, urine ou lait maternel). Il demeure latent pendant une période indéterminée, dans les cellules mononucléaires et parfois dans d’autres tissus, chez les personnes ayant déjà été infectées, mais les personnes en bonne santé sont généralement asymptomatiques. Une infection par le CMV peut causer des complications graves chez les personnes immunodéprimées, comme la pneumonie interstitielle, l’hépatite, la rétinite et l’encéphalite.
La pathogenèse du CMV transmis par transfusion est incertaine. Bien qu’on ait mis l’accent sur la possible infectiosité des donneurs de sang en séroconversion, on a décrit la réactivation du CMV chez les individus séropositifs comme faisant partie du vieillissement normal. Par ailleurs, il se peut aussi que le CMV se transmette par une réactivation ultérieure du virus chez une personne ayant reçu une transfusion de cellules infectées de manière latente uniquement. Contrairement à d’autres virus transmissibles par transfusion, les dépistages effectués par les fournisseurs de sang dépendent des analyses sérologiques qui déterminent s’il y a eu une exposition préalable au CMV. Conçues comme des tests de diagnostic permettant de détecter une infection active au CMV, les méthodes actuelles de test des acides nucléiques ne sont pas autorisées pour le dépistage, car elles ne peuvent pas détecter les faibles taux d’ADN du CMV chez les donneurs en séroconversion. En outre, l’ADN du CMV observé chez ces individus pourrait représenter de l’ADN libre du CMV dans des cellules non infectieuses, plutôt que des virions infectieux.4,5 Actuellement, les cliniciens qui demandent des unités « CMV négatives » au Canada reçoivent des composants provenant de donneurs ne possédant pas d’anticorps IgG ou IgM détectables. Les globules rouges et les produits plaquettaires déleucocytés avant l’entreposage sont considérés comme sûrs du point de vue du cytomégalovirus.
Par le passé, il y a eu des cas d’infections à la suite d’une transmission du CMV par voie transfusionnelle, à des taux pouvant atteindre 60 % avec du sang total labile chaud7. Cependant, les techniques actuelles de réduction leucocytaire avant l’entreposage ont entraîné un fort déclin du taux de transmission, qui est aujourd’hui estimé à 1 sur 13 575 000.8 En 2016, Maria Mainou et ses collègues ont procédé à une revue systématique et à une méta-analyse de onze études pour évaluer l’impact de la déleucocytation – avec ou sans analyses sérologiques du sang des donneurs – sur la réduction des risques d’infection par le CMV liés à la transfusion. Bien que la qualité de certaines études puisse soulever des préoccupations, aucune des études n’indiquait une augmentation des risques d’infection par le CMV (données cliniques ou résultats d’analyses de laboratoire) lors de la comparaison des unités déleucocytées aux unités non testées (n = 5); des unités déleucocytées aux unités séronégatives pour le CMV (n = 3) et des unités déleucocytées à des unités déleucocytées séronégatives pour le CMV (n = 2).9
En 2012, on a demandé au Comité consultatif national d’évaluer les données sur la transmission du CMV par voie transfusionnelle et le rapport risque-bénéfices en cas de modification de la méthode de dépistage du CMV afin d’aider les services de transfusion des hôpitaux canadiens et la Société canadienne du sang à aborder a) la complexité que représente les pratiques cliniques très variées en ce qui concerne les demandes de produits séronégatifs pour le CMV, b) la disponibilité limitée des composants séronégatifs (en particulier les produits plaquettaires HLA compatibles) qui retarde souvent les transfusions et c) les difficultés que cause la gestion de doubles stocks. En raison des améliorations continues du procédé de déleucocytation et des données sur les pratiques au Canada et les pays où il n’est pas obligatoire d’utiliser des composants sanguins séronégatifs pour le CMV, même pour les patients à risque élevé, les membres du groupe de travail sur le CMV du Comité consultatif national ont considéré qu’il ne faisait aucun doute que l’élimination de l’utilisation systématique de composants séronégatifs pour le CMV réduirait le taux de gaspillage des composants, améliorerait la capacité du fournisseur de sang à répondre à la demande et réduirait le coût par unité sans compromettre la sécurité du patient.
Au mois de février 2017, le Comité consultatif national a approuvé les recommandations suivantes :
Recommandation no 1
Le Comité consultatif national recommande que les produits déleucocytés, c’est-à-dire dépourvus de CMV, et les produits séronégatifs pour l’IgG anti-CMV soient considérés comme équivalents, sauf pour les transfusions intra-utérines.
Recommandation no 2
Le Comité consultatif national recommande que la Société canadienne du sang mette fin au processus actuel de test et de fourniture d’unités séronégatives pour le CMV aux installations hospitalières, et qu’elle mette au point un nouveau processus visant à conserver un stock réduit de composants sanguins séronégatifs pour le CMV destinés uniquement aux transfusions intra-utérines.
Recommandation no 3
Le Comité consultatif national recommande que la Société canadienne du sang étudie la possibilité de constituer une petite réserve de composants sanguins séronégatifs pour le CMV sur lequel elle réalisera un test de dépistage et un test des acides nucléiques, juste pour la transfusion intra-utérine.
En ce qui concerne la fourniture de composants séronégatifs pour le CMV destinés à la transfusion intra-utérine, le risque pour cette population précise était compensé par la capacité du fournisseur de sang à répondre aux besoins cliniques. Au Canada, les transfusions intrautérines sont relativement peu fréquentes, pratiquées dans des services hautement spécialisés, généralement prévues et nécessitent déjà des phénotypes spéciaux et des modifications de globules rouges ou de plaquettes. Par conséquent, la Société canadienne du sang est en mesure de fournir des unités séronégatives pour cette population à haut risque.
Les membres du groupe de travail du Comité consultatif national sont conscients qu’il n’existe pas de méthode de test des acides nucléiques pour le CMV approuvée comme méthode de criblage à haut débit; cependant, grâce à la petite réserve nécessaire pour la transfusion intrautérine, on pourra peut-être, à l’avenir, ajouter un test des acides nucléiques pour le CMV, si cela est jugé bénéfique pour réduire le risque pendant la fenêtre sérologique chez les fœtus.
Il existe différents modes d’infection congénitale par le CMV, à savoir : a) l’infection initiale d’une femme enceinte séronégative, b) la réinfection d’une femme déjà séropositive ou c) la réactivation du virus chez une femme déjà séropositive, la transmission du CMV par voie transfusionnelle étant potentiellement impliquée dans les deux premiers modes d’infection. La transfusion intra-utérine est l’un des rares cas où les leucocytes du donneur arrivent à survivre de façon extrêmement prolongée chez le receveur, ce qui augmente les chances de réactivation du CMV dans les unités qui présentent une infection latente. Parmi les fœtus infectés par voie congénitale, 10 % présenteront une microencéphalie, un retard de croissance, une hépatosplénomégalie, des cytopénies, une choriorétinite, des anomalies touchant le système nerveux central et une perte auditive liée au nerf sensoriel à la naissance. Le taux de mortalité peut atteindre 29 %. Par ailleurs, 10 à 15 % des nourrissons asymptomatiques à la naissance présenteront des symptômes, le plus souvent une perte auditive liée au nerf sensoriel. 10 Étant donné l’importance et le fardeau cliniques pour les nouveau-nés infectés, la difficulté à surveiller les infections fœtales et l’absence de traitement intra-utérin efficace, on a formulé les recommandations ci-dessus.
Ces recommandations ne s’appliquent PAS aux nouveau-nés présentant un faible poids de naissance. La raison principale en est que le CMV est excrété dans le lait maternel, or la transmission par cette voie est bien plus risquée que la transmission par voie transfusionnelle. Selon une étude prospective impliquant 462 mères et 539 nourrissons dont le poids de naissance était inférieur ou égal à 1 500 g, le taux de séroprévalence chez les mères s’élevait à 76,2 %. Vingt-sept des nourrissons avaient développé une infection postnatale par le CMV à douze semaines à cause d’un allaitement à du lait maternel séropositif. La maladie était en phase symptomatique chez cinq de ces nourrissons et elle a entraîné la mort de trois d’entre eux.11 Par ailleurs, le rapport risque-bénéfices est également altéré par le fait que le dépistage du CMV pourrait être effectué en analysant l’urine, la salive ou une tache de sang séché dans la plupart des services qui prennent en charge les nourrissons à faible poids de naissance. Il serait alors possible de mettre au point un traitement contre l’infection par le CMV dans la période postnatale avec du ganciclovir et d’autres agents antiviraux, quel que soit le mode d’infection.10 Certaines personnes sont également d’avis qu’il faut profiter de la nature protectrice d’un transfert passif des anticorps contre le CMV chez les donneurs séroconvertis pour prévenir l’infection chez ces nourrissons allaités. Enfin, aucune augmentation des cas d’infection n’a été constatée dans les deux hôpitaux canadiens (Hospital for Sick Kids et Stollery Children’s Hospital) qui n’utilisent plus de produits sanguins séronégatifs pour le CMV pour les nouveaunés présentant un faible poids à la naissance depuis plus de dix ans
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